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  • LA NOUVELLE GAGNANTE DU CONCOURS 2011

    MORTELLE CUVEE, de madame Dominique DELHEZ

    M. Wu descendait de l'avion. Impassible, on pouvait néanmoins, par une observation insistante distinguer deux lumières dans son regard. Il savait que la partie était gagnée. C'était la troisième fois qu'il venait visiter son futur bien. La prochaine : il serait chez lui.

    Cet homme n'avait aucun palais mais possédait une connaissance encyclopédique surprenante du vin français, notamment du Bordelais. Il était avant tout un investisseur au nez fin ! En Chine, la tendance actuelle de la consommation de vins fins et d'alcools, notamment français l'avait encouragéà acheter un domaine viticole.

    Mais cette acquisition n'était pas du goût de tous. Charles, garçon passionné et intelligent, avait appris à marcher au milieu des ceps noueux, dévalé les coteaux en riant durant toute son enfance. Il ne supportait pas l'idée de perdre ce qui lui était le plus cher. Le Domaine était sa vie. Admirer les feuilles changer de couleur au gré des saisons, entendre souffler les vendangeurs à l'automne, respirer l'odeur des fûts de chêne et attendre le verdict des dégustations, tout cela lui était vital. Il était comme un de ces pieds de vigne toujours plus fort, aux réactions parfois surprenantes mais si généreux. Durant les longues négociations, il s'était arrangé pour être là, toujours présent, à l'affût de chaque information. Il savait que la propriété valait une fortune, mais l'argent ne l'intéressait pas. Il ne comprenait pas ce qui pouvait motiver ses parents à se défaire du patrimoine familial. Il ignorait tout de leurs faramineuses dettes de jeu.

    Aux alentours, de nombreuses critiques et une forte incompréhension sourdaient. On ne vend pas un domaine d'une telle renommée - qui plus est bordelais - à un étranger et encore moins à un Chinois. Charles savait que s'il arrivait malheur à Wu, il serait largement soutenu. De toute façon, il n'avait plus le choix, c'était aujourd'hui ou jamais.

     Depuis le début des négociations, il avait envisagé de manière spontanée et légère la mort de Wu comme une solution pour éviter la vente du domaine. Charles était loin de présenter un profil d'assassin et ses amis qui l'avaient pris au mot le taquinaient. C'était devenu une bonne plaisanterie : « Alors as-tu trouvé le crime parfait ?! ». Mais cette idée d'homicide s'était petit à petit ancrée dans sa tête, insidieusement. Charles ne considérait déjà plus ses propos sous un angle innocent. Il avait progressivement réussi àécarter tout sentiment d'horreur à l'idée de tuer. L'interdit puis l'amoralité d'un tel acte avaient laissé la place à un projet logique, à un but précis, obsessionnel. Il s'était convaincu que rien d'autre n'offrait la possibilité de conserver le Domaine de Lestrignac dans l'escarcelle familiale et qu'avant d'être un homme - un humain en chair et en os, qui respire, parle et boit - Wu n'était en quelque sorte qu'une mallette de billets, un instrument de la finance mondiale.

     A la recherche du crime parfait, Charles avait passé de nombreuses heures à feuilleter les revues spécialisées, à s'informer des faits divers et à lire des polars. Les négociations ayant duré plusieurs mois, il avait eu le temps d'imaginer mille et une manières de faire mourir Wu. Il s'était fait à cette illumination, et s'en était tellement imprégné que tuer était devenu pour lui un acte banal, évident et naturel. Il avait donc élaboré plusieurs moyens de mettre fin à l'existence de Wu.

    D'abord : l'étranglement. Mais il ignorait tout des forces de Wu qui maîtrisait peut-être les arts martiaux. Il ne s'agissait pas de se retrouver derrière les barreaux pour tentative de meurtre. Cela lui semblait trop risqué.

    Ensuite : un coup porté au cœur avec une arme blanche. Mais Charles trouvait mauvaise l'idée de transporter sur soi un couteau, de s'acharner sur un corps et le voir se vider de son sang ; il n'éprouvait pas suffisamment de haine pour un tel meurtre qui le dégoûtait. La perspective de faire disparaître tout indice finit par le dissuader. La mort devait paraître naturelle.

    Troisième hypothèse : l'accident, la chute. Mais Charles n'arrivait pas à visualiser les lieux potentiels. Par ailleurs, il ignorait tout des itinéraires qu'emprunterait Wu et s'il serait seul. C'était trop aléatoire.

    Après des nuits passées à réfléchir, à cauchemarder, à penser à tous les scénarii possibles, Charles avait choisi : le plus propre, le plus sûr et le plus rapide serait l'empoisonnement. La mort de Napoléon Bonaparte, l'affaire Marie Besnard et d'autres encore l'avaient mis sur la piste. Il restait des barils de pyral-rep fort à traîner dans le Domaine ; ces barils de produits à base d'arsenic servant de traitement des vignes, interdits depuis quelques années, avaient été oubliés mais Charles en connaissait l'existence. Par ailleurs, il savait que Wu était attiré par son corps d'adolescent et séduit par son caractère contrasté de petit sauvageon élevé dans la pure tradition aristocratique des grandes familles de viticulteurs négociants bordelais. Charles était convaincu que Wu ne refuserait pas de partager avec lui une dégustation de Pessac-Léognan au chai. Ce tête-à-tête au milieu des dizaines de fûts de chênes que tous deux souhaiteraient discret - pas pour les mêmes raisons - réunirait les conditions idéales pour lexécution de son projet. Aussi, il s'y était longuement préparé. De nombreuses fois, il avait refait toute la scène dans sa tête : de son invitation au choix de la bouteille, en passant par l'ingestion du poison. Une question était longtemps restée en suspens : que faire du corps sans vie ? Le faire disparaître ? En tout état de cause il ne devait pas le laisser à la cave. Même si Charles avait rapidement compris que le Chinois buvait pour étancher sa soif et s'étourdir plutôt que par plaisir de découvrir des saveurs authentiques et nouvelles, Wu n'avait pas la réputation de boire seul. Non, il devrait ramener le corps dans les vignes. On pourrait croire à un malaise cardiaque ou à une rupture d'anévrisme. Charles n'arrivait pas à se décider. Dans l'incertitude, il avait aussi imaginé faire disparaître le corps. Cette option le tentait davantage. La région était truffée de caves inutilisées du fait d'une hygrométrie trop importante et de la modernisation des exploitations viticoles. Celle qui servirait de tombe à Wu était recouverte de ronces ; sa génération et celle de ses parents en ignoraient l'existence, il en était persuadé. Il l'avait découverte grâce aux récits de chasse de son grand-père. Le plus difficile serait de transporter le corps. Ses 17 ans étaient une force et Wu ne semblait pas peser lourd, mais il faudra et être discret et ne croiser personne. Les quelques 500 mètres à parcourir risquaient de paraître très longs. Il agirait la nuit. Il cacherait Wu dans un recoin de la cave et reviendrait le chercher quand tout le monde serait endormi.

     Tout à la répétition de la journée qui l'attendait, Charles était le seul à porter un regard distrait voire absent à l'arrivée de M. Wu.

    Ce dernier avait ses exigences d'homme d'affaires chinois. Il avait fait suffisamment de concessions financières et aujourd'hui il était intraitable. Il souhaitait une ultime fois visiter le domaine, mais seul. Impatient, il voulait se sentir le maître des lieux.

    Charles ne le lâcha pas d'une seconde, toujours en retrait, il attendait le moment d'agir.

    M. Wu parcourut avec beaucoup de plaisir le vignoble de Pessac-Léognan, puis décida de revoir le chai. Il fit demi-tour et franchit l'allée de graviers. Le voyant hésiter quant à la direction à prendre, Charles, dont le charme ne le laissait pas insensible décida d'intervenir.

     

     -  Puis-je vous être utile M. Wu ?

     -  Ah, Monsieur Charles ! Auriez-vous l'amabilité de m'indiquer l'entrée du Chai s'il vous plaît ?

    Veuillez me suivre, Monsieur. Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, je vous y accompagne. Comme vous le savez, il est facile de s'y perdre. Je suis même certain que plusieurs caves secondaires ne vous ont pas été présentées.

      Allons-y, jeune homme.

    Avez-vous fait bon voyage, Monsieur ?

    Oui, Monsieur Charles, ce fut certes un peu long, mais je suis honoré d'être à nouveau accueilli ici, dans cette propriété exceptionnelle.

    Charles se força à répondre, souriant que c'était un plaisir pour lui de l'accompagner dans sa visite et qu'il restait disponible pour lui rendre son court séjour très agréable.

     Ils arrivaient au chai. Naturellement, Charles orienta M. Wu vers l'espace de dégustation. Il jeta un œil sur le verre empoisonné qu'il avait posé parmi les autres et frissonna de soulagement. Durant des mois il avait souffert de se rabaisser devant ce chinois qui allait déposséder sa famille, durant des mois il avait élaboré des hypothèses, des plus pessimistes aux plus enthousiastes. Durant des mois il avait été tourmenté, ballotté entre peur et espoir, résignation et courage. Le moment était maintenant arrivé. Il devait juste ajouter du vin rouge au liquide meurtrier et le faire boire à Wu.

      M. Wu, puis-je vous offrir un verre de ce vin qui fait la réputation du Domaine ?

    Vous boirez avec moi, cher ami. C'est vous le connaisseur, je vous laisse me guider.

    Mais bien entendu, Monsieur, c'est de tradition. Je vous propose un Domaine de Lestrignac, millésime 1989. Cette année a donné des vins riches, charnus et racés. Et si vous appréciez la gastronomie française, je vous conseille d'accompagner ce vin avec une poitrine de veau farcie, plaisanta nerveusement Charles.

    Il saisit délicatement une bouteille dont il admira la couleur sombre aux reflets violacés. Il la déboucha fébrilement. Tout en meublant l'espace de commentaires sur les crus exceptionnels de Pessac-Léognan et sur les milliers de bouteilles entreposées dans le chai, Charles remplit le verre destiné à M. Wu puis le sien. Absorbé par la contemplation des allées de fûts centenaires, M. Wu ne remarqua pas la blancheur de Charles, ni ses tremblements. Au moment de donner le verre à M. Wu, Charles hésita : lequel était-ce ? Celui de droite ou celui de gauche ? Il avait perdu son sang froid, il ne savait plus. Il enrageait, tout son projet était sur le point de s'effondrer à cause d'une erreur d'inattention. Il s'en voulait. Le scénario du meurtre était pourtant huilé, tout était parfait. Il réalisa très vite qu'il avait une chance sur deux de s'empoisonner. Acculé, il devait reprendre ses esprits et trouver un subterfuge. Avant même que M. Wu ne saisisse un des verres, Charles, par un mouvement qui se voulait être une maladresse, fit tomber celui de droite. Alors même que le liquide se répandait au sol, imitant la surprise par un sursaut, il renversa une bonne partie du contenu de l'autre.

      Je vous avais dit que ce vin était une explosion dans le palais, et bien nous savons dorénavant qu'il détonne déjà dans le verre ! lança-t-il à M. Wu, perplexe.

    Charles ne devait rien laisser paraître de son trouble et de sa colère contre lui-même. Sans être trop naïf, il voulut croire qu'une opportunité se présenterait peut-être à lui au cours de la journée. Aussi, il emplit de nouveaux verres qu'il leva à la santé du futur nouveau propriétaire puis accompagna M. Wu dans sa visite du chai.

    Alors même qu'ils déambulaient côte à côte, les yeux de Charles se posèrent sur le sol à quelques pas devant lui, à droite de l'allée qu'ils suivaient. En apercevant l'entrée fermée des cuves de fermentation, Charles eût une vision. Wu ignorait très certainement tout des asphyxies accidentelles qui chaque année tuaient quelques inconscients dans ces cuves, lui non. Il tenait là son crime parfait.

    M. Wu, vous a-t-on expliqué le rôle important des cuves de fermentation ? C'est là que toute la magie opère ! En avez-vous déjà visitées ?

    Pour être honnête avec vous jeune homme, je ne les avais jamais remarquées. Mais cela m'intéresse vivement.

    Charles proposa naturellement à M. Wu de descendre le long de l'échelle et de plonger dans le cœur de la cuve. M. Wu entama sa descente comme on découvre un jeu d'enfant. Charles le suivait le plus lentement possible, en gardant la tête hors de la cuve. Ce n'était qu'une question de secondes. Et soudain, M. Wu s'écroula. Contre toute attente, la vue de cet homme en train de s'affaisser et de sombrer dans un dernier sommeil, provoqua chez l'adolescent un sursaut d'humanité. Celui-ci fut pris de panique et d'un sentiment de culpabilité qui le poursuivrait tout au long de son existence. Comment avait-il pu élaborer et commettre un crime ? Il était devenu un monstre. Sa réaction instinctive fut de rejoindre M. Wu pour le sortir de la cuve avant qu'il ne meure. Il prit sa respiration et parcourut au plus vite l'échelle. Il atteignit rapidement le fond de la cuve. Il savait que le temps était compté. Il souleva le corps mou de l'homme d'affaires. Au prix d'immenses efforts, il réussit à le hisser le long de l'échelle et à sortir sa tête à l'air pur. M. Wu reprit sa respiration qu'il retenait depuis trop longtemps et sortit prestement du piège mortel. Charles épuisé par tant d'efforts sans respirer écarquilla des yeux de surprise lorsqu'il vit M. Wu alerte. Il sentit que les rôles s'étaient inversés. Il venait de comprendre que rien n'avait échappé à M. Wu. Il était le plus fort et lui perdait tout, jusqu'à la vie. Face à cette réalité, il poussa un cri d'horreur et avala l'air vicié. M. Wu sans pitié referma la trappe mais il n'attendit pas le dernier souffle de Charles, il la rouvrit et s'adressa au jeune homme évanoui :

    C'est terminé Charles, je deviendrai propriétaire et tu ne m'en empêcheras plus.

     M. Wu rejoignit sa chambre d'hôte, se doucha. Il prépara sa mallette et appela son notaire. En jetant un dernier regard par la fenêtre, il se frotta les mains de satisfaction.

  • Tordre le cou aux rumeurs......

    Un commentaire dit en substance ceci:

    "Deux auteurs présents sur les dix pour la proclamation des résultats ! C'est peu. Un écrivains à côté de moi disait qu'on ne prévient pas les lauréats. Je comprends mieux. Mais pourquoi ce suspense inutile ?"

    1- L'article plus bas indique que les auteurs lauréats ont été correctement avertis, sans donner leur place, au mois de septembre, pour qu'ils envoient leurs textes par mail, afin d'éviter de les reataper...

    2- Je ne veux pas savoir qui est l'auteur à l'origine de cette rumeur... sans doute n'a-t-il pas fait partie des lauréats ? Il peut remettre cela l'an prochain!