Cinquième Prix
Un chat bien encombrant.
De Madame Béatrice Duby
Et voilà que ces maudits miaulements reprenaient !
Martin, affalé sur une chaise de la cuisine, se tenait la tête entre les mains. Ce quinquagénaire, taillé comme une armoire à glace, ne supportait plus Roméo, le chat de sa femme.
Cette grosse boule de poils roux miaulait inlassablement derrière la porte-fenêtre de la cuisine. Il semblait narguer Martin de ses gros yeux jaunes.
Ces deux là ne s'aimaient pas !
Adélaïde, son épouse, tenait à ce que son chat mange à la cuisine.
Il se leva donc pour lui ouvrir la porte. Roméo le regarda d'un air arrogant et se dirigea avec nonchalance vers sa gamelle de croquettes.
Et le voilà à mâchouiller !
Surtout prends ton temps ! pensa Martin, agacé.
Comme à son habitude, une fois la dernière bouchée avalée, Roméo se glissa lestement sous l'armoire de la cuisine.
Et la même ritournelle reprenait... Martin élevait la voix, proférant des «pschitt, pschitt». Mais ce maudit chat se léchait les pattes, l'air satisfait.
Voyant arriver le balai, il se faufilait rapidement vers la porte-fenêtre ouverte. Et Martin la refermait violemment !
Puis le chat s'asseyait et fixait d'un œil narquois son maître. On aurait pu croire qu'il lui souriait !
Six mois que ce chat lui menait une vie impossible ! Toute l'affection de son épouse était dorénavant tournée vers Roméo. Il en convenait, il était jaloux... d'un animal !
Ne pouvant avoir d'enfant, Adélaïde avait insisté pour avoir un chat.
Le problème était qu'il n'aimait pas les animaux !
Mais ne pouvant rien lui refuser, ils avaient adopté un chat adulte à la SPA. Quelle erreur !
Adélaïde serait de retour dans dix minutes. Il se prépara mentalement à ne pas lui faire de scène.
Peine perdue ! A peine eut-elle le temps de poser sa veste qu'il partit dans un long laïus sur Roméo.
Elle soupira et, comble de l'horreur, fit rentrer son chat ! Celui-ci s'installa tranquillement sur les genoux de sa maîtresse, ronronnant sous ses caresses.
Martin vit noir et monta le ton ! Il s'en suivit une longue série de reproches, de propos grossiers.
Adélaïde le trouvait puéril et le menaça même de divorce ! C'était bien la première fois !
Le match dura un bon quart d'heure ! Les deux parties en ressortirent exténuées !
Elle quitta la pièce en marmonnant. Après une journée au salon d'esthétique à écouter les confidences de ses clientes, elle rêvait de tranquillité. C'était sans compter sur son mari !
Au chômage depuis deux mois, Martin focalisait de plus en plus sur Roméo.
Vivement qu'il retourne à ses moellons ! Le repas se passa dans le silence. Penaud, Martin tenta bien une approche mais devant le regard noir de sa femme préféra s'abstenir.
Comme à chacune de leurs disputes, le repas terminé, elle se retira dans la chambre d'amis.
Encore une nuit à dormir d'un mauvais sommeil ! songea Martin. Tout çà, à cause d'un chat !
Le lendemain matin, le couple se retrouva devant un bol de café. La tension était retombée...
Il lui demanda sincèrement pardon et Adélaïde passa une fois de plus l'éponge.
Elle partit à son travail.
Martin lança un regard assassin à Roméo qui le regardait de ses gros yeux jaunes.
Depuis quelques jours, une idée avait germé dans son esprit...
Il devait se débarrasser de ce chat !
Et ce, dès aujourd'hui ! Il n'allait pas laisser cette touffe de poils mettre en péril son couple !
Son plan ne pouvait que fonctionner !
Il attrapa au vol un carton et se dirigea vers le chat, occupé à remblayer ses besoins.
Il en profita pour l'attraper par l'échine !
C'est ça ! Débats toi mon vieux !
Lorsque celui-ci se retrouva bien au chaud dans le carton ; il le ferma avec du gros scotch de chantier.
Martin se trouvait plutôt sympa. Le carton était percé de trous pour que ce cher Roméo puisse respirer ! Il ne souhaitait pas sa mort... juste s'en débarrasser !
Assis au volant, il évitait de penser au chagrin qu'aurait sa femme. Oh ! Elle finirait bien par s'habituer !
Il parcourut une centaine de kilomètres et se gara à l'entrée d'un chemin forestier.
Vérifiant qu'il était seul, il sortit le carton du coffre ; prit une grande inspiration et libéra le chat.
Puis il remonta rapidement dans sa voiture et jeta un regard dans son rétro. Il aperçut un Roméo hagard.
Quelqu'un finirait bien par le trouver...
Il prit le chemin du retour, ne cessant de penser à l'attitude à adopter devant Adélaïde.
Surtout penser à respirer... prendre un air désolé...
11h30.
Son bœuf bourguignon mijotait lorsqu'il entendit la voiture de son épouse.
Adélaïde aimait retrouver son mari pour la pause déjeuner... et son chat !
Surtout ne rien laisser paraître !
Tout en l'embrassant, elle lui demanda s'il avait vu Roméo. Il répondit que non, qu'il devait sûrement chasser.
Le repas se passa dans une ambiance détendue. Quel bonheur ! Pas de chat à l'horizon ! Toute l'attention d'Adélaïde était à nouveau tournée vers lui.
Au moment de repartir à l'institut, elle lui demanda de s'inquiéter de Roméo en son absence. Ce qu'il lui promit avec un parfait aplomb !
Un après-midi sans les miaulements de ce chat !
Occupé à poncer une barrière pour leur escalier, le temps passa paisiblement. Il l'avait fabriqué de ses propres mains. «En or, ses mains !» lui répétaient Adélaïde.
19h.
Sa femme se gara dans la cour.
Elle rejoignit Martin dans le garage et admira son travail tout en l'embrassant.
Mais à peine eut-elle plaquée ses lèvres sur la joue de son époux que la question fatidique arriva...
Avait-il vu Roméo ?
De son air le plus détaché, il lui répondit que non.
Adélaïde passa du sourire à une colère noire. L'accusant de ne pas s'en être soucier. Il semblait évident que Roméo s'était sauvé pour échapper à la tyrannie de son maître !
Il n'en menait pas large... du haut de son un mètre quatre-vingt, il ressemblait à un petit garçon pris en faute.
Il devait se ressaisir ! Choisir l'attaque !
Les griefs volèrent ! Chacun cherchant à affaiblir l'adversaire. Les outils finirent même par voler dans l'atelier !
Et c'était reparti ! Mais cette fois, Adélaïde remonta dans sa voiture et démarra en trombe.
Bon débarras, se dit-il !
Mais quelques minutes plus tard, sa colère retomba comme un soufflé. Pourvu qu'elle rentre...
20h30.
Adélaïde était de retour. Elle descendit de sa voiture le visage fermé. Traversant la cuisine, elle annonça à Martin qu'elle ne souperait pas ce soir et se dirigea vers la chambre d'amis.
Il n'en menait pas large ! Se raisonnant, il se persuada que c'était une affaire de quelques jours...
Quatre jours plus tard, la situation n'avait pas évolué. Elle devenait même inquiétante ! Adélaïde mangeait du bout des lèvres, ne prenant la parole que par nécessité.
Elle déprimait et le médecin lui avait même signé un arrêt de travail !
Comment résoudre le problème ? Il en venait à regretter leurs disputes quotidiennes...
Tout lui avouer ? Mon dieu, non ! Il voyait déjà les papiers du divorce s'étaler sur la table !
Prendre un autre chat... le comble du comble ! Certainement pas !
Au matin du cinquième jour, Adélaïde se leva le sourire aux lèvres. Triomphant, Martin se félicita d'avoir patienter.
Il déchanta très vite lorsqu'elle ouvrit la bouche ! Une idée lui était venue à l'esprit...
Prendre deux chatons !
Stupéfait, Il resta là, pantois, se demandant si c'était une mauvaise blague. Mais non, c'était on ne peut plus sérieux !
Tentant de garder son calme, il lui demanda l'intérêt d'en prendre deux.
La réponse était d'une grande simplicité. A deux, ils ne s'ennuieraient pas !
Martin rentra dans une colère noire !
Et c'était reparti pour un match entre les deux protagonistes ! Mais il finit par baisser les armes, étant un peu à l'origine de ce désastre !
Comble de l'horreur, il se vit promettre à Adélaïde de l'accompagner à la SPA pour choisir les chatons !
Il ne ferma pas l'œil de la nuit. Non, non et non ! Hors de question de prendre deux chatons !
Une petite lumière s'alluma dans son cerveau... retrouver le plus vite possible Roméo !
Ce n'était pas l'idéal mais toujours mieux que... deux chatons !
Dès l'aube, il se leva rapidement. Un bon café et il partirait sur le champ à la recherche de ce maudit chat. Mon dieu, ce que Roméo finissait par lui manquer, pensa t-il avec ironie.
Adélaïde le rejoignit dans la cuisine. Assis face à face, ils prirent leur petit déjeuner dans un silence religieux.
Soudain,un miaulement se fit entendre !
Elle sauta de sa chaise et ouvrit la porte-fenêtre !
Roméo, crotté jusqu'au cou apparut dans l'embrasure ! Elle le prit dans ses bras, pleurant de joie.
Martin jubilait ! Du pain béni ce chat ! Il n'aurait pas à lui courir après !
Pour donner le change, il s'approcha de Roméo pour lui souhaiter la bienvenue...
Mais celui-ci le gratifia d'un joli coup de griffes sur la main ! Eh oui, ce chat avait une bonne mémoire ! Son retour promettait des journées mémorables, pensa Martin !
Il ne croyait pas si bien dire ! Personne ne l'avait encore remarqué. Mais une jolie chatte tigrée attendait en retrait d'être présentée... Roméo avait rencontré le grand amour !