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  • SALON REUSSI ET BIEN SUIVI

    Attignat 2016, c'est terminé.

    Merci à tous les auteur(e)s présent(e)s. Vous avez grandement contribué à la réussite de cette année, par votre disponibilité, vos sourires et la convivialité affichée dans vos échanges avec le public.

    Merci aux très nombreux visiteurs (nous avons atteint les 2800 entrées), sans qui un Salon ne peut marcher.

    Puissiez-vous être tous aussi nombreux l'année prochaine à notre SPÉCIAL "POLAR AU PAYS DU POULET" (avec ou sans jeu de mots, au choix de chacun!)

    Les photos sont dans l'album 2016.

  • Cinquième Prix

    Cinquième Prix

     Un chat bien encombrant.

                                  De Madame Béatrice Duby

     

    Et voilà que ces maudits miaulements reprenaient !

    Martin, affalé sur une chaise de la cuisine, se tenait la tête entre les mains. Ce quinquagénaire, taillé comme une armoire à glace, ne supportait plus Roméo, le chat de sa femme.

    Cette grosse boule de poils roux miaulait inlassablement derrière la porte-fenêtre de la cuisine. Il semblait narguer Martin de ses gros yeux jaunes.

    Ces deux là ne s'aimaient pas !

    Adélaïde, son épouse, tenait à ce que son chat mange à la cuisine.

    Il se leva donc pour lui ouvrir la porte. Roméo le regarda d'un air arrogant et se dirigea avec nonchalance vers sa gamelle de croquettes.

    Et le voilà à mâchouiller !

    Surtout prends ton temps ! pensa Martin, agacé.

    Comme à son habitude, une fois la dernière bouchée avalée, Roméo se glissa lestement sous l'armoire de la cuisine.

    Et la même ritournelle reprenait... Martin élevait la voix, proférant des «pschitt, pschitt». Mais ce maudit chat se léchait les pattes, l'air satisfait.

    Voyant arriver le balai, il se faufilait rapidement vers la porte-fenêtre ouverte. Et Martin la refermait violemment !

    Puis le chat s'asseyait et fixait d'un œil narquois son maître. On aurait pu croire qu'il lui souriait !

    Six mois que ce chat lui menait une vie impossible ! Toute l'affection de son épouse était dorénavant tournée vers Roméo. Il en convenait, il était jaloux... d'un animal !

    Ne pouvant avoir d'enfant, Adélaïde avait insisté pour avoir un chat.

    Le problème était qu'il n'aimait pas les animaux !

    Mais ne pouvant rien lui refuser, ils avaient adopté un chat adulte à la SPA. Quelle erreur !

     

    Adélaïde serait de retour dans dix minutes. Il se prépara mentalement à ne pas lui faire de scène.

    Peine perdue ! A peine eut-elle le temps de poser sa veste qu'il partit dans un long laïus sur Roméo.

    Elle soupira et, comble de l'horreur,  fit rentrer son chat ! Celui-ci s'installa tranquillement sur les genoux de sa maîtresse, ronronnant sous ses caresses.

    Martin vit noir et monta le ton ! Il s'en suivit une longue série de reproches, de propos grossiers.

    Adélaïde le trouvait puéril et le menaça même de divorce ! C'était bien la première fois !

    Le match dura un bon quart d'heure ! Les deux parties en ressortirent exténuées !

    Elle quitta la pièce en marmonnant. Après une journée au salon d'esthétique à écouter les confidences de ses clientes, elle rêvait de tranquillité. C'était sans compter sur son mari !

    Au chômage depuis deux mois, Martin focalisait de plus en plus sur Roméo.

    Vivement qu'il retourne à ses moellons ! Le repas se passa dans le silence. Penaud, Martin tenta bien une approche mais devant le regard noir de sa femme préféra s'abstenir.

    Comme à chacune de leurs disputes, le repas terminé, elle se retira dans la chambre d'amis.

    Encore une nuit à dormir d'un mauvais sommeil ! songea Martin. Tout çà, à cause d'un chat !

    Le lendemain matin, le couple se retrouva devant un bol de café. La tension était retombée...

    Il lui demanda sincèrement pardon et Adélaïde passa une fois de plus l'éponge.

    Elle partit à son travail.

    Martin lança un regard assassin à Roméo qui le regardait de ses gros yeux jaunes.

    Depuis quelques jours, une idée avait germé dans son esprit...

    Il devait se débarrasser de ce chat !

    Et ce, dès aujourd'hui ! Il n'allait pas laisser cette touffe de poils mettre en péril son couple !

    Son plan ne pouvait que fonctionner !

    Il attrapa au vol un carton et se dirigea vers le chat, occupé à remblayer ses besoins.

    Il en profita pour l'attraper par l'échine !

    C'est ça ! Débats toi mon vieux !

    Lorsque celui-ci se retrouva bien au chaud dans le carton ; il le ferma  avec du gros scotch de chantier.

    Martin se trouvait plutôt sympa. Le carton était percé de trous pour que ce cher Roméo puisse respirer ! Il ne souhaitait pas sa mort... juste s'en débarrasser !

     

    Assis au volant, il évitait de penser au chagrin qu'aurait sa femme. Oh ! Elle finirait bien par s'habituer !

     Il parcourut une centaine de kilomètres et se gara  à l'entrée d'un chemin forestier.

    Vérifiant qu'il était seul, il sortit le carton du coffre ; prit une grande inspiration et libéra le chat.

    Puis il remonta rapidement dans sa voiture et jeta un regard dans son rétro. Il aperçut un Roméo hagard.

    Quelqu'un finirait bien par le trouver...

    Il prit le chemin du retour, ne cessant de penser à l'attitude à adopter devant Adélaïde.

    Surtout penser à respirer... prendre un air désolé...

    11h30.

    Son bœuf bourguignon mijotait lorsqu'il entendit la voiture de son épouse.

    Adélaïde aimait retrouver son mari pour la pause déjeuner... et son chat !

    Surtout ne rien laisser paraître !

    Tout en l'embrassant, elle lui demanda s'il avait vu Roméo. Il répondit que non, qu'il devait sûrement chasser.

    Le repas se passa dans une ambiance détendue. Quel bonheur ! Pas de chat à l'horizon ! Toute l'attention d'Adélaïde était à nouveau tournée vers lui.

    Au moment de repartir à l'institut, elle lui demanda de s'inquiéter de Roméo en son absence. Ce qu'il lui promit avec un parfait aplomb !

    Un après-midi sans les miaulements de ce chat !

    Occupé à poncer une barrière pour leur escalier, le temps passa paisiblement.  Il l'avait fabriqué de ses propres mains. «En or, ses mains !» lui répétaient Adélaïde.

    19h.

    Sa femme se gara dans la cour.

    Elle rejoignit Martin dans le garage et admira son travail tout en l'embrassant.

    Mais à peine eut-elle plaquée ses lèvres sur la joue de son époux que la question fatidique arriva...

    Avait-il vu Roméo ?

    De son air le plus détaché, il lui répondit que non.

    Adélaïde passa du sourire à une colère noire. L'accusant de ne pas s'en être soucier. Il semblait évident que Roméo s'était sauvé pour échapper à la tyrannie de son maître !

    Il n'en menait pas large... du haut de son un mètre quatre-vingt, il ressemblait à un petit garçon pris en faute.

    Il devait se ressaisir ! Choisir l'attaque !

    Les griefs volèrent ! Chacun cherchant à affaiblir l'adversaire. Les outils finirent même par voler dans l'atelier !

    Et c'était reparti ! Mais cette fois, Adélaïde remonta dans sa voiture et démarra en trombe.

    Bon débarras, se dit-il !

    Mais quelques minutes plus tard, sa colère retomba comme un soufflé. Pourvu qu'elle rentre...

     

    20h30.

    Adélaïde était de retour. Elle descendit de sa voiture le visage fermé. Traversant la cuisine, elle annonça à Martin qu'elle ne souperait pas ce soir et se dirigea vers la chambre d'amis.

    Il n'en menait pas large ! Se raisonnant, il se persuada que c'était une affaire de quelques jours...

    Quatre jours plus tard, la situation n'avait pas évolué. Elle devenait même inquiétante ! Adélaïde mangeait du bout des lèvres, ne prenant la parole que par nécessité.

    Elle déprimait et le médecin lui avait même signé un arrêt de travail !

    Comment résoudre le problème ? Il en venait à regretter leurs disputes quotidiennes...

    Tout lui avouer ? Mon dieu, non ! Il voyait déjà les papiers du divorce s'étaler sur la table !

    Prendre un autre chat... le comble du comble ! Certainement pas !

    Au matin du cinquième jour, Adélaïde se leva le sourire aux lèvres. Triomphant, Martin se félicita d'avoir patienter.

    Il déchanta très vite lorsqu'elle ouvrit la bouche ! Une idée lui était venue à l'esprit...

    Prendre deux chatons !

    Stupéfait, Il resta là, pantois, se demandant si c'était une mauvaise blague. Mais non, c'était on ne peut plus sérieux !

    Tentant de garder son calme, il lui demanda l'intérêt d'en prendre deux.

    La réponse était d'une grande simplicité. A deux, ils ne s'ennuieraient pas !

    Martin rentra dans une colère noire !

    Et c'était reparti pour un match entre les deux protagonistes ! Mais il finit par baisser les armes, étant un peu à l'origine de ce désastre !

    Comble de l'horreur, il se vit promettre à Adélaïde de l'accompagner à la SPA pour choisir les chatons !

    Il ne ferma pas l'œil de la nuit. Non, non et non ! Hors de question de prendre deux chatons !

    Une petite lumière s'alluma dans son cerveau... retrouver le plus vite possible Roméo !

    Ce n'était pas l'idéal mais toujours mieux que... deux chatons !

     Dès l'aube, il se leva rapidement. Un bon café et il partirait sur le champ à la recherche de ce maudit chat. Mon dieu, ce que Roméo finissait par lui manquer, pensa t-il avec ironie.

    Adélaïde le rejoignit dans la cuisine. Assis face à face, ils prirent leur petit déjeuner dans un silence religieux.

    Soudain,un miaulement se fit entendre !

    Elle sauta de sa chaise et ouvrit la porte-fenêtre !

    Roméo, crotté jusqu'au cou apparut dans l'embrasure ! Elle le prit dans ses bras, pleurant de joie.

    Martin jubilait ! Du pain béni ce chat ! Il n'aurait pas à lui courir après !

    Pour donner le change, il s'approcha de Roméo pour lui souhaiter la bienvenue...

    Mais celui-ci le gratifia d'un joli coup de griffes sur la main ! Eh oui, ce chat avait une bonne mémoire ! Son retour promettait des journées mémorables, pensa Martin !

    Il ne croyait pas si bien dire !  Personne ne l'avait encore remarqué. Mais une jolie chatte tigrée attendait en retrait d'être présentée... Roméo avait rencontré le grand amour !  

  • Quatrième Prix

    Quatrième Prix

     

    Amour, délices et…morgue

                                    Madame Juliane Roussel

     

    J’enclenche la cinquième vitesse et appuie sur l’accélérateur : je ne serai jamais à la maison avant midi ! Pourtant je m’étais juré d’arriver à l’heure. C’est que Madame ma Mère a le respect des convenances et se veut être une parfaite maîtresse de maison ! Ma nombreuse famille maternelle aime les repas pour nous regrouper. Nous avons toujours fêté ensemble Noël, le Nouvel An, la galette des Rois, toutes les fêtes typiques, quoi ! Moi, cette « tribu » me pèse parfois. Je n’ai ni l'envie ni le besoin d'être dans un véritable clan !  Je trouve qu’ils empiètent tous sur l’intimité de chacun d’entre nous. Je suis agacée par leurs visites à l'improviste, où on finit toujours par manger ensemble ! Je les aime bien, mais je fais la tête quand ils arrivent : ma mère en souffre, elle me trouve égoïste, pleine de morgue, « comme ton grand-père !» ajoute-t-elle

             Quelle circulation ! Je n’arrive pas à doubler ce poids lourd ! Je serai en retard ! J’appréhende le regard lourd de reproche que me lancera ma mère quand j’arriverai, quant à Grand-Mère, elle soupirera ironiquement : « Mieux vaut tard que jamais ! » Seul, grand-père ne dira rien et pour cause, il ne peut plus parler. Pauvre Papy ! Il a eu il y a trois ans un AVC, et il a perdu l’usage de la parole : c’est la mutité complète. C’est affligeant et révoltant de voir grand-père aussi pitoyable ! Autrefois, toute la famille le respectait et tremblait devant lui, sauf moi. J’adorais mon Papy Louis ! J’étais, je le reconnais, sa petite-fille préférée. J’ai du mal à retenir mes larmes en le voyant condamné au silence. Seul, son regard perçant et le geste agacé de ses mains, montrent qu’il comprend tout de même ce que nous disons.

    Norbert, mon petit frère sera là, avec sa copine, et peut-être aussi Damien, notre aîné, avec ses enfants : leur présence rendra mon retard moins pénible ! 

    J’espère que « la famille » n’a pas appris ma rupture avec Philippe, sans cela je n’ai pas fini d’entendre les « Je te l’avais bien dit que ce n’était pas un garçon sérieux ! » de tante Agathe, les « Ma pauvre petite fille ! » apitoyés de ma grand-mère et la rengaine maternelle : « Un couple ne fonctionne bien que grâce aux compromis réciproques ! »

     Leur affection m’étouffe parfois, en ce moment, elle me hérisse !  « Famille je vous hais ! » 

    Enfin, j’arrive dans le jardin : le portail est ouvert, trois voitures sont déjà garées ! J’avance et gare mon auto à côté de celle de mes parents. Je monte en hâte : ils sont déjà tous dans la salle-à- manger : il est vrai qu’il est vingt heures quinze !

    En arrivant sur le seuil, je m’arrête, saisie. Au milieu de la pièce, trône la grande table avec toute la famille autour ! Je pensais retrouver mes parents, mes grands-parents, mon frère et sa copine, mais ils sont tous là ! Même mes deux grand-tantes, Hélène et Agathe !

    «Ah ! Te voilà, enfin ! fulmine ma mère

             Son ton hostile m’écorche les nerfs. Je refoule ma colère, et l’embrasse mécaniquement :

    - « Nous avons appris que tu avais des ennuis sentimentaux, alors, nous sommes tous venus » déclare du haut de ses quatre-vingt-dix printemps, la grand- tante Hélène, une sœur de ma grand-mère.

    Comment l’ont-ils su ? Je n’en avais parlé qu’à mon frère Damien. Je le lorgne d’un air soupçonneux, mais il fuit mon regard

    - En famille, on est toujours là quand l’un d’entre nous a du chagrin ! » affirme tante Brigitte, la sœur de ma mère.

    - Ma pauvre petite-fille ! gémit Grand-Mère en me serrant dans ses bras. Je respire toujours avec le même plaisir son parfum, un parfum qui n’appartient qu’à elle : poudre de riz, eau de lavande, un parfum frais et émouvant qui me rappelle mes souvenirs heureux d’enfant choyée.

    Devant tous ces regards compatissants, je me cabre, blessée dans mon orgueil : ils ont l’air de croire que je suis une victime, une pauvre femme abandonnée, mais c’est faux ! Serrant les lèvres pour ne pas leur répondre vertement de se mêler de leurs affaires, je m’approche de Grand-père. Il relève la tête et ses yeux s’éclairent en me voyant. Je l’embrasse tendrement. Ses joues sont rêches. Mon cœur se gonfle : «Mon Papy ! » Quelle complicité entre nous, quel profond amour nous unissait. Je caresse ses doigts noueux. Il pose une main tremblante sur mon bras. Qui pourrait croire que ce vieillard taciturne était Louis Dupuis, ce chef d’entreprise craint et respecté de tous, un homme plein de morgue envers ses concurrents mais généreux envers les démunis, un pater familias qui décidait trop souvent seul, c’est vrai, pour toute la famille : personne, hormis moi, n’osait lui tenir tête. 

    Enzo et Natacha, mes neveux, s’approchent de nous et m’embrassent gentiment, en me regardant d’un air apitoyé : c’est moi seule qui suis en butte à l’attention de toute ma famille, pour l’instant, mais ma mère intervient !

    « Tu as vu le look de ta nièce ?»

    Natacha porte une jupe courte sur un jean effiloché et ses cheveux aux reflets volets,   pendent en mèches et chignon désordonnés sur son front et ses épaules :

    « Ben quoi ! C’est tendance ! marmonne l’adolescente en levant les épaules.

    - Elle est franchement déguisée ! glousse tante Agathe en riant, et il faut qu’elle soit jolie pour supporter une telle coiffure !

    - Tu pourrais soigner ta tenue quand tu viens en famille ! gronde ma mère.  Ça m’étonne que ton père tolère cela ! »

    Le père en question lève les épaules d’un geste traduisant à la fois son impuissance et une sorte de fatalisme. Damien, divorcé, s’est vu confier la garde de ses deux enfants : on ne parle jamais lors des repas de famille de la « femme indigne qui a abandonné ses enfants !»

    - L’habit ne fait pas le moine, et chacun son look ! » riposte le doux Enzo qui pour une fois a daigné baisser la capuche de son blouson.

    -C’est aux parents de diriger le choix et les goûts de leurs enfants ! » clame d’un ton docte tante Hélène 

    Là, j’interviens :

    « C’est vrai que tu as l’expérience toi qui ne t’es jamais mariée et n’as jamais eu d’enfant !

             -Tu es une petite peste ! fulmine tante Hélène furieuse. Je commence à comprendre pourquoi ton fiancé t’a quittée !

    C’est alors que du haut de ses quinze ans, Enzo lâche une phrase assassine :

    -«Encore des reproches !  Avec vous, c'est toujours pareil ! Quand je pense que j’ai raté le match France/Argentine pour venir ici !  »

    Des »Oh !» indignés fusent, mais l’entrée triomphale de Maman sauve la situation.

    - Les moules farcies sont prêtes ! Mangez vite tant que c’est chaud !  propose –t-elle en posant la lourde cocotte de fonte sur la table.

    -Woua ! On a bien fait de venir ! s’exclame grand-oncle Pierre, ravi.

    - C’est son plat préféré ! ajoute Agathe sa femme.

    - Alors, Enzo, tu regrettes toujours ton match ? demande tante Hélène moqueuse.

    - Alors, là, non ! riposte mon neveu souriant, en tendant son assiette à sa grand-mère.

    - En plus, de toute la famille, c’est toi qui réussis le mieux ce plat ! affirme Mamie Julie.

    - Un ban pour la maîtresse de maison !», réclame le sémillant grand-oncle :

     Je savoure soudain le bonheur de partager avec tous les membres de ma famille, ce moment heureux. Cela se voit dans nos regards croisés, nos bouches souriantes, nos visages épanouis par une bonne rigolade générale, suite au talent d’imitateur d’Enzo. Ce repas est un bon moyen de resserrer les liens familiaux, c'est convivial, chaleureux, on peut partager plein de choses, et c'est un bon moyen d'être pour une fois tous ensemble et de s'apprécier mutuellement.

    Malheureusement, une petite contrariété s’invite à table : voici que mon portable que j’ai oublié d’éteindre sonne : un braiement désespéré d’âne, égrené par mon appareil laisse place à un silence glacial. Je regarde vite le correspondant : ma meilleure copine. Tant pis ! J’éteins mon téléphone en les priant de m’excuser. 

             « Tu sais pourtant, déclare ma grand-mère, ce que nous pensons des portables et des ordinateurs ! Ils envahissent votre vie et vous isolent sans que vous vous en rendiez compte !

              - C’est vrai, renchérit ma mère, c’est pourquoi je tiens tant à tous vous réunir autour d’un bon repas, à la moindre occasion. C’est un lien familial et social de communication. »

             Dans cette grande tablée, il règne pour l’instant une ambiance joyeuse mais elle devient soudain houleuse quand innocemment j’évoque l’absence de la nouvelle compagne de mon frère. S’il y avait bien une chose à ne pas aborder, c’étaient les frasques de Norbert Le repas n’est pas un confessionnal, encore moins un lieu où déballer ses problèmes. Bien entendu à table, on s’efforce de ne jamais parler d'argent, d'amour ni de religion. Ce qui ne m’empêchera pas de discuter en tête-à-tête avec mon petit frère, après le repas. Pauvre Norbert ! Toujours en quête du grand amour, toujours déçu ! Je regarde mon petit frère chéri avec tendresse. Il comprend et m’adresse un grand sourire. Pour moi, je le reconnais, ces repas de famille c'est toujours la joie de me retrouver avec mes frères, de les taquiner, de partager leurs attentes, et aussi leurs peines, leurs inquiétudes, nos souvenirs.  L'amour fraternel est très fort chez nous.

    Des cris de joie et d’admiration me sortent de ma rêverie : maman apporte une magnifique omelette norvégienne, faite maison, notre délice quand nous étions enfants. Tous la complimentent. Elle a l’air joyeux.

    Mon père, toujours d’un calme olympien face à cette tribu, verse le champagne qui pétille dans les coupes levées vers lui.

    Et en regardant ce clan infernal et joyeux réuni autour de la grande table, sans trop savoir pourquoi,  j’ai soudain envie de rire et de pleurer à la fois. Dans un monde de violence, de peur  et de haine, la tribu a ses charmes et les retrouvailles peuvent faire chaud au cœur.

    Nous trinquons tous en effleurant les délicate coupes en cristal de Bohème. Nous nous apprêtons à boire, chacun portant un toast quand, malencontreusement Natacha et Enzo, en choquant trop fort leurs verres les brisent tous les deux.

    Un silence pétrifié.  Puis, Madame ma mère se transforme en véritable furie, elle crie, traite ses petits enfants de débiles, d’irresponsables, les accuse de ne rien respecter, précise que ces verre étaient en pur cristal, qu’elle n‘en aurait bientôt plus, que.. .        

             Alors, mue par je ne sais quelle impulsion, je vide ma coupe et la balance derrière mon épaule, à la russe. Elle se brise en mille éclats dans un son cristallin qui se répercute à l’infini, me semble-t-il, suivi d’un lourd silence. 

     Soudain, une sorte de grincement enroué et rauque résonne. Nous nous   figeons tous, et nos regards convergent vers mon grand- père : il rit, il rit, et il parvient à bredouiller :

    « C’est trop drôle ! Trop drôle !  Ah !ma petite fille : je te reconnais bien là ! Tu es une vraie Dupuis, toi !  »